Cependant, les promesses faites par les pays ayant signé cet accord sont loin d’être suffisantes pour atteindre les objectifs ambitieux qu’il fixe, comme l’avait indiqué dès 2016 le secrétariat de la Convention climat[1], et comme l’a rappelé récemment le Programme des Nations unies pour l’environnement[2]. En particulier, « contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels » pourrait rapidement devenir hors d’atteinte si les États ne prennent pas des mesures concrètes et cohérentes pour y parvenir.
Dans ce contexte, l’organisation à Paris, deux ans jour pour jour après l’adoption de cet accord, et vingt ans après celle du protocole de Kyoto, d’un sommet consacré au financement de la lutte contre le changement climatique offre l’opportunité de renforcer les actions gouvernementales.
Alors que la transformation des systèmes productifs reste au mieux balbutiante[3], les États ont un rôle majeur à jouer pour engager son changement d’échelle. Tandis que d’autres acteurs comme les collectivités territoriales et les entreprises multiplient les initiatives marquantes, il relève de la responsabilité des États de fixer un cadre clair, stable et incitatif. Un tel cadre pourrait garantir la pérennité de cette multiplicité d’annonces, et assurer leur mise en œuvre effective, au-delà de l’effet de visibilité recherché.
Cette volonté des États de réorienter les flux économiques sur une voie plus durable explique la mise en place de dispositifs tels que le marché du carbone européen depuis 2005, ou la contribution climat-énergie (CCE) – taxe carbone à la française –, en vigueur depuis 2014. Dans leur principe, il s’agit de rendre plus coûteuses les activités émettrices de gaz à effet de serre, qui constituent les moteurs du changement climatique actuel, et dans le même temps de rendre plus compétitives les activités compatibles avec nos ambitions climatiques.
Cependant, la crédibilité de la montée en puissance sur le long terme de tels dispositifs n’est pas assurée. D’une part, alors que le rapport Canfin-Grandjean-Mestrallet de 2016 sur le prix du carbone, conforté par la commission Stern-Stiglitz en 2017[4], préconisait un prix plancher de l’ordre de 30 euros la tonne de CO2 pour entraîner la transition vers des modes de production moins polluants, la moyenne observée cette année sur le marché européen est de 5,5 euros.
D’autre part, en France, pour les secteurs assujettis à la CCE, ce montant est fixé annuellement dans la loi de finances (30,5 euros aujourd’hui). De ce fait, il n’existe pas de garantie tangible, de moyen et de long terme permettant aux investisseurs de savoir si l’État tiendra ses engagements. Certes, une trajectoire d’évolution future est présentée, mais rien n’empêche qu’elle soit infléchie, à la baisse, en fonction des priorités politiques. Ce manque de visibilité de long terme sur le prix du carbone limite aujourd’hui les investissements dans les technologies bas-carbone, pourtant cruciaux pour atteindre nos objectifs climatiques.
Pour pallier ce problème de crédibilité de long terme, l’État pourrait mettre en place des certificats carbone, dont le volume correspondrait aux réductions d’émissions obtenues par des investissements bas-carbone par rapport à un scénario de référence. Leur valeur serait fixée en fonction de la trajectoire de prix du carbone entérinée par l’État dans la loi de transition énergétique de 2015, ou éventuellement par une révision découlant du Plan climat présenté en juillet dernier, sur la durée de vie de l’investissement.
Par la suite, si les prix du carbone observés étaient supérieurs ou égaux à ceux définis par la trajectoire de référence, la garantie de l’État, matérialisée par ces certificats, ne s’appliquerait pas. À l’inverse, si les prix du carbone se révélaient inférieurs aux engagements politiques, l’État verserait la différence correspondante, à proportion des certificats détenus. Dès lors, toute déviation négative par rapport à la trajectoire prévue du prix du carbone présenterait un coût pour la puissance publique, et partant, une forte incitation à ce qu’elle se conforme aux objectifs initiaux.
Ce dispositif, qui peut s’assimiler à des options de vente, et qui peut être rapproché du mécanisme britannique des « contrats pour différence », permettrait d’assurer de la visibilité pour les investissements sobres en carbone. En limitant les primes de risque associées à de tels projets, la garantie publique liée à l’évolution des prix du carbone améliorerait le rendement de ces investissements par rapport à des projets traditionnels. Elle donnerait de la stabilité aux anticipations des financeurs, levant d’importants verrous à l’investissement bas-carbone. France Stratégie publiera prochainement une étude détaillant ce mécanisme.
Cet outil, complémentaire des instruments existants de fixation d’un prix du carbone, aurait ainsi l’avantage de valoriser des investissements de long terme par rapport à des projets plus classiques hypothéquant notre capacité à lutter contre le changement climatique. Ce serait l’occasion de réconcilier le temps court des lois de finances et des équilibres budgétaires nationaux, avec les défis du climat et de l’adaptation des infrastructures.
Cela permettrait d’anticiper des transitions qui s’imposeront inéluctablement, et qui seront à l’avenir plus coûteuses. Ce serait une opportunité de marquer la capacité de la France à concrétiser ses ambitions sur le climat.
[1] Aggregate effect of the intended nationally determined contributions: an update, Synthesis report by the secretariat of the United Nations Framework Convention on Climate Change, mai 2016.
[2] The Emissions Gap Report 2017, United Nations Environment Programme (UNEP), novembre 2017.
[3] Panorama des financements climat en France, Édition 2017 – Résumé pour décideurs, Institut for Climate Economics (I4CE), décembre 2017.