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Document de travail
Publié le
Lundi 16 Mai 2022
Cette étude s’inscrit dans la continuité de l’analyse développée par Bruneau et Girard (2020) [1] dans le cas français, sur la base de la même méthodologie. Il s’agit d’estimer et de comparer les évolutions tendancielles des productivités du travail de quatre grands pays européens, la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni sur les quarante dernières années, en considérant l’économie à un niveau global puis sectoriel, à partir des données de la comptabilité nationale. La question centrale concerne l’identification de facteurs contribuant au ralentissement tendanciel de la croissance de la productivité, tel qu’il est observé depuis le début des années 1980 jusqu’à nos jours [2].
Evolution tendancielle de la productivité en France... - Image principale

Téléchargez le document de travail Évolution tendancielle de la productivité en France, en Allemagne, 
en Italie et au Royaume-Uni depuis 1976

Comme dans l’étude du cas français, l’analyse est effectuée en deux étapes. Dans un premier temps, on identifie les principaux paliers de décroissance qui caractérisent de façon simple le fléchissement des gains de productivité du travail observé dans ces pays ; chaque palier correspond à un niveau moyen constant des gains tendanciels de productivité entre deux dates correspondant à des ruptures dites structurelles, identifiées par un test de stabilité. On essaie ensuite de comprendre l’origine de cette tendance en recherchant des facteurs structurels liés au capital physique ou au capital humain susceptibles de l’expliquer ; la référence au modèle de Solow augmenté s’avère bien adaptée pour décomposer le niveau de productivité attendu, à l’équilibre de long terme.

Une question plus spécifique concerne l’impact de la dernière crise financière de 2008 sur le ralentissement de la productivité du travail, pour savoir si cette crise a contribué à définir un nouveau palier dans le ralentissement des gains de productivité.

Quand on considère l’ensemble de l’économie, on trouve que les quatre pays ont connu au plus une rupture par décennie et systématiquement une ou plusieurs ruptures antérieures à la crise de 2008, entre 2002 et 2004 pour la France, entre 1998 et 2004 pour l’Italie et l’Allemagne, et entre 2005 et 2006 pour le Royaume-Uni. L’Allemagne est le seul pays pour lequel on identifie par ailleurs une rupture structurelle concomitante à la crise. Différentes explications peuvent être avancées pour valider l’identification statistique de ces dates. Les réformes du marché du travail visant à enrichir la croissance en emploi sont par exemple souvent mises en avant dans les quatre pays considérés pour expliquer les ruptures structurelles. En Italie, d’autres raisons sont également évoquées en lien avec la faiblesse des réformes pro-concurrentielles, notamment dans les activités de commerce et dans les services aux entreprises, comparativement aux autres pays européens. Pour le Royaume Uni, 2005 correspond à la rupture baissière la plus significative et anticipe vraisemblablement le productivity puzzle largement documenté dans la littérature qui met en avant des faiblesses structurelles que la crise de 2008 aurait ensuite accentuées. 

La France a connu le fléchissement le plus important entre le début et la fin de la période, mais elle affiche, avec l’Allemagne, le taux de croissance annuel moyen le plus élevé sur la période la plus récente, autour de 1 % pour les deux pays. À l’opposé, on peut parler d’un décrochage de l’Italie, puisque le taux de croissance annuel moyen de sa productivité est inférieur à 0,3 % depuis 1998, le Royaume-Uni connaissant une situation similaire, bien que moins marquée, avec un taux de croissance annuel moyen d’environ 0,4 % depuis 2005.

Concernant l’impact de la crise de 2008, le fait qu’il soit plus marqué et durable en Allemagne peut s’expliquer par l’importance des exportations de ce pays et son exposition relativement plus grande aux fluctuations de l’économie mondiale. 

Au niveau sectoriel, la dernière rupture structurelle apparaît dans le seul secteur marchand en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, tandis qu’elle affecte l’économie globale en Italie. En France, les ruptures sont identifiées approximativement au même moment pour les industries et les services marchands. En Allemagne, on observe d’abord une rupture dans les services marchands au début des années 2000, puis dans l’industrie entre 2005 et 2008, et une nouvelle rupture dans les services après 2010. En Italie, la première rupture est identifiée dans l’industrie sur la seconde moitié des années 1990, puis dans les services au début des années 2000. Au Royaume-Uni, une rupture est d’abord identifiée dans l’industrie, puis dans les services, pour lesquels l’impact de la crise semble plus important (avec le problème du manque de recul puisque la période d’estimation pour l’analyse sectorielle ne démarre qu’en 1995 par manque de données). 

En ce qui concerne les facteurs susceptibles d’expliquer le fléchissement tendanciel des gains de productivité, le modèle de croissance augmenté suggère de considérer la propension à investir dans le capital physique productif, le taux de croissance de la population en âge de travailler, augmenté du taux de dépréciation du capital et du taux de croissance du progrès technique, le stock de capital humain, auxquels s’ajoute la durée du travail. Ces facteurs sont suffisants pour caractériser la productivité tendancielle sans rupture structurelle dans les cas français et allemand, même si, dans le cas de l’Allemagne, le modèle est plus stable quand on tient compte de la rupture identifiée en 2008. Pour l’Italie et le Royaume-Uni en revanche, les déterminants déduits du modèle ne sont pas suffisants pour expliquer la rupture ayant conduit à la stagnation de leur productivité. 

Concernant l’élasticité de la productivité à la durée du travail, on observe deux cas polaires, selon que la variation de la durée du travail est principalement absorbée par la productivité horaire et donc par la réorganisation de l’appareil productif, comme en France et au Royaume-Uni, ou qu’elle se répercute sur la productivité par tête, traduisant des créations d’emplois, comme en Allemagne. L’Italie, quant à elle, constitue un cas intermédiaire où, selon les spécifications considérées, une baisse de la durée du travail touche de manière équivalente la productivité horaire et la productivité par tête. 

La propension à investir dans le capital physique productif et le taux de croissance de la population en âge de travailler ont un impact plus marginal sur la productivité, résultat déjà souligné dans Bruneau et Girard (2020). 

Enfin, en considérant l’élasticité de la productivité du travail au stock de capital humain, on peut identifier deux groupes de pays, que le stock soit approximé par la part de la population adulte ayant achevé des études secondaires ou par le nombre moyen d’années d’études. Pour la France et l’Allemagne, la contribution du capital humain apparaît significativement positive, avec une élasticité plus élevée dans le cas français. Pour l’Italie et le Royaume-Uni, la contribution apparaît beaucoup moins significative voire marginale. 


[1] Bruneau C. et Girard P.-L. (2020), « Évolution tendancielle de la productivité du travail en France, 1976-2018 », Document de travail n° 2020-18, France Stratégie, décembre. 
[2] Rappelons que ces estimations économétriques, menées à partir de données agrégées de comptabilité nationale, permettent de s’inscrire dans un cadre théorique cohérent, mais sont nécessairement plus frustes que des estimations sectorielles fines et a fortiori des données individuelles d’entreprises, et que les contributions identifiées ne peuvent être assimilées à des relations de causalité. 

Auteurs

Pierre-Louis Girard
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Libre
Pierre-Louis
Girard
Anciens auteurs de France Stratégie
Catherine Bruneau, Département Économie
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