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Point de vue
Publié le
Mercredi 20 Mai 2015
Les préfets qui piloteront la transformation de l’administration dans chaque région, notamment dans les nouvelles capitales régionales, ont été nommés le 22 avril 2015 en Conseil des ministres. Une liste provisoire des villes susceptibles de devenir chef-lieu des régions ayant fusionné sera prochainement élaborée par le Gouvernement et mise en débat auprès des Conseils régionaux, des élus locaux et des assemblées parlementaires. Si pour certaines régions une ville semble s’imposer comme capitale régionale, dans d’autres ce choix suscite des débats. C’est le cas notamment pour la région Bourgogne – Franche-Comté, la Normandie ou encore la région Languedoc-Roussillon – Midi-Pyrénées.
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Le choix des capitales est important du point de vue de la cohérence d’ensemble de la région et de son équilibre. Deux critères sont pertinents pour identifier les villes susceptibles d’y contribuer : le rayonnement économique et la localisation spatiale. Historiquement, le choix d’une capitale se porte généralement en France sur la ville économiquement la plus importante. Mais, l’exemple de pays comme les États-Unis, le Brésil montre que l’on peut opter au niveau national comme au niveau régional pour une distinction entre capitale administrative et capitale économique.

Dans la moitié des régions, une seule ville se détache très nettement des autres d’un point de vue économique

Le rayonnement économique d’un territoire au sein d’une région peut notamment être mesuré à l’aune de deux critères : l’attraction exercée sur les travailleurs des autres territoires de la région et le contrôle exercé via les liens capitalistiques (liens d’actionnariat) avec les entreprises implantées dans les autres territoires de la région. Ainsi, un département (et par construction la préfecture de ce département) est d’autant plus central dans la vie économique de sa région qu’il attire des travailleurs venus des autres départements et qu’y sont implantées des entreprises qui diffusent des capitaux vers les autres départements de la région.

Pour plusieurs régions, le département qui accueille le plus de travailleurs en provenance des autres départements de la région est également celui qui contrôle le plus d’emplois dans les autres départements de la région via des liens d’actionnariat (graphique ci-dessous). La préfecture de ce département est ainsi la ville la plus importante de la région du point de vue de son rayonnement économique. C’est le cas de Paris, Lyon, Toulouse, Lille, Nantes et Rennes.

Nombre d’emplois contrôlés ou de travailleurs attirés par départements

Nombre d'emplois contrôlés ou de travailleurs attirés par départements
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Nombre d'emplois contrôlés ou de travailleurs attirés par départements, par fcausse

Lecture : Pour chaque région, les barres représentent le nombre d’emplois contrôlés (en bleu) et le nombre de travailleurs attirés (en orange) par chaque département dans sa région. Les noms de villes indiqués sont ceux des villes principales des départements arrivant en tête dans la région. Ainsi dans la région Bourgogne – Franche-Comté, c’est Besançon qui attire le plus de travailleurs en provenance des autres départements de la région, mais c’est Dijon qui contrôle le plus d’emplois dans les autres départements de la région via les liens d’actionnariat.
Sources : Insee, Diane, calculs des auteurs.

Dans les six autres régions, le département qui contrôle le plus d’emplois dans les autres départements via les liens d’actionnariat n’est pas nécessairement celui qui reçoit le plus de travailleurs en provenance de la région.

  • C’est le cas de la Normandie où Caen contrôle le plus d’emplois et Rouen reçoit le plus de travailleurs.
  • En  région Centre – Val de Loire, Tours contrôle le plus d’emplois mais à peine davantage qu’Orléans alors qu’Orléans et Blois exercent la force d’attraction la plus forte sur les travailleurs des autres départements.
  • En région Provence – Alpes-Côte d’Azur, Nice contrôle le plus d’emplois alors que Marseille accueille le plus de travailleurs des autres départements de la région.
  • En région Bourgogne – Franche-Comté, Dijon contrôle le plus d’emplois via les liens d’actionnariat alors que Besançon attire le plus de travailleurs des autres départements.
  • Dans la région Aquitaine – Limousin – Poitou-Charentes, Bordeaux exerce sans conteste un contrôle actionnarial sur le plus grand nombre d’emplois. C’est cependant le couple Bayonne-Pau qui reçoit le plus de travailleurs du reste de la région, du fait des déplacements domicile-travail des résidents des Landes.
  • Dans la région Alsace – Lorraine – Champagne-Ardenne, alors même que Strasbourg a été désignée comme capitale régionale par la loi de 16 janvier 2015, c’est Nancy qui contrôle le plus d’emplois via les liens d’actionnariat et c’est Metz qui attire le plus de travailleurs des autres départements de la région.

L’éloignement à la capitale régionale

Au-delà des effets de rayonnement économique, le choix de la capitale régionale pourrait aussi répondre au souhait de contrebalancer les forces centrifuges que subissent certains départements parce qu’ils sont davantage liés économiquement à une région autre que celle à laquelle ils appartiennent. C’est par exemple le cas du Gard, davantage lié économiquement à la région PACA qu’à la région Midi-Pyrénées – Languedoc-Roussillon(1). Une telle situation pourrait justifier le choix d’une capitale plus proche géographiquement et économiquement de ces départements afin de renforcer leur ancrage au sein de la nouvelle région.

Les cartes 1 et 2 montrent l’éloignement des chefs-lieux de département à la capitale régionale en fonction du choix de cette dernière. Les régions pour lesquelles le choix de la capitale régionale fait actuellement débat sont notamment : le Languedoc-Roussillon – Midi-Pyrénées, la Normandie et le Centre – Val de Loire. Les départements en ton plus foncé sont ceux pour lesquels les temps de parcours sont les plus élevés (supérieurs à 2 h 30).

En région Alsace – Lorraine – Champagne-Ardenne, la moitié des dix départements se trouvent à plus de 2 h 30 en voiture de Strasbourg, déjà désignée capitale régionale (les quatre départements de la Champagne-Ardenne ainsi que la Meuse).

Dans d’autres régions, des chefs-lieux de département se trouvent à plus de 2 h 30 de la capitale régionale uniquement si celle-ci est choisie en fonction du critère de la ville économiquement la plus importante de la région. C’est le cas d’au moins deux départements, Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées lorsque la capitale est Toulouse : le Gard et la Lozère (carte 1) et d’un département de la région Rhône-Alpes – Auvergne (le Cantal) dont la capitale est Lyon, de la région Aquitaine – Limousin – Poitou-Charentes (la Creuse) dont la capitale est Bordeaux, et de la région Bourgogne – Champagne-Ardenne (la Nièvre) dont la capitale est Dijon.

Éloignement des départements à la capitale régionale (temps de parcours en voiture)

Carte 1 :

Capitales : Marseille, Dijon, Toulouse, Bordeaux, Rennes, Nantes, Orléans, Strasbourg, Lille, Lyon, Paris, Rouen

Carte 1
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Carte 1, par fcausse

Lecture : la ville soulignée correspond au choix alternatif de capitale régionale ; les départements apparaissent dans une couleur d’autant plus foncée que le trajet en voiture pour rejoindre la capitale régionale est élevé.

Carte 2 :

Capitales : Marseille, Dijon, Montpellier, Bordeaux, Rennes, Nantes, Tours, Strasbourg, Lille, Lyon, Paris, Caen

Carte 2
Type d'image: 
Libre

Carte 2, par fcausse

Lecture : la ville soulignée correspond au choix alternatif de capitale régionale ; les départements apparaissent dans une couleur d’autant plus foncée que le trajet en voiture pour rejoindre la capitale régionale est élevé.
Source : Google Maps, calcul des auteurs
  • Dans le Languedoc-Roussillon – Midi-Pyrénées où Toulouse domine la vie économique de la région, le choix de Montpellier plutôt que Toulouse pourrait éventuellement se justifier s’il y avait la volonté de renforcer les liens avec les départements de l’est de la région qui subissent une force centrifuge du fait de liens étroits avec la région Provence – Alpes-Côte d’Azur. Un tel choix améliorerait effectivement la situation en temps de parcours à la capitale régionale de quatre départements (sur treize), dont le Gard, mais détériorerait celle de huit départements. Au total, dans ce cas de figure, cinq départements seraient alors à plus de 2 h 30 de la capitale régionale.
  • Dans le cas de la Normandie, on a vu que le Calvados contrôlait davantage d’emplois que la Seine-Maritime via les liens d’actionnariat. Si Caen était désignée capitale régionale, seul un département se trouve à plus de 1 h 30 de la capitale régionale, contre deux dans le cas de Rouen.
  • Dans la région Centre – Val de Loire, c’est l’Indre-et-Loire, le département dont Tours est la préfecture, qui contrôle le plus d’emplois dans les autres départements de la région via les liens d’actionnariat. Si Tours est choisie comme capitale régionale plutôt qu’Orléans, le temps de parcours à la capitale régionale augmente depuis l’Eure-et-Loir, passant d’environ 1 h à près de 2 h, département qui subit une force centrifuge du fait de ses liens économiques ou financiers étroits avec l’Île-de-France.

Dans les cas où il serait trop difficile de trancher sur la base des critères proposés ici ou bien d’autres critères, la répartition des compétences entre deux villes mérite d’être envisagée. Si cette solution est retenue, elle doit l’être de manière stable et durable, les expériences de compétences tournantes ont en effet montré la difficulté de maintenir un rapport équilibré entre les sites concernés. C’est le cas par exemple entre Bruxelles et Strasbourg pour le Parlement européen. En tout état de cause, la répartition des compétences doit être clairement explicitée et justifiée au regard des spécialisations des villes.


(1 ) Voir Amabile A., Bernard C. et Épaulard A. (2015), « Réforme territoriale et cohérence économique régionale », La Note d’analyse n°29, France Stratégie, mai. Voir aussi Amabile A., Bernard C. et Épaulard A. (2015), « Une évaluation de la cohérence économique interne des régions », Document de travail n°01-2015, France Stratégie, mai.

Auteurs

Anne Épaulard
Arno Amabile
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