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Point de vue
Publié le
Vendredi 02 Juin 2017
Une piste d’application du rapport Stern-Stiglitz pour favoriser la coopération financière Nord-Sud. Lors de la COP22 à Marrakech, Ségolène Royal, en tant que co-présidente de la coalition pour la tarification du carbone a confié à Lord Nicholas Stern et au prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz la mission de définir un corridor de valeurs du carbone compatibles avec les objectifs de l’accord de Paris sur le climat.
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En janvier 2017, France Stratégie a accueilli une réunion de travail de la commission Stern-Stiglitz pour partager avec ses membres son expérience de la commission Quinet sur la « valeur tutélaire du carbone », qu’elle avait pilotée en 2008-2009 et qui, depuis, sert de référence dans le débat français sur la tarification du carbone.

Le rapport Stern-Stiglitz a été présenté le 29 mai dernier à Berlin lors du Sommet du Think20. Son message est clair : l’urgence de l’action climatique pour limiter la hausse des températures moyennes bien en-deçà de 2°C exige un signal fort et crédible sur la valeur du carbone. Une tarification du carbone bien conçue est indispensable pour enclencher la transition bas carbone efficace de nos économies et profiter ainsi de l’ensemble des co-bénéfices de cette transition en termes de qualité de l’air, de santé, de progrès technique et d’emplois dans la nouvelle économie verte.

Les auteurs du rapport préconisent de viser d’emblée des corridors d’au moins 40 à 80 $ par tonne de CO2 en 2020 et de 50 à 100 $ en 2030. Ces valeurs peuvent sembler très ambitieuses au regard des prix du carbone observés de par le monde. Ces prix s’établissent pour 80% d’entre eux à des niveaux inférieurs à ces corridors. Le prix sur le marché du carbone européen, par exemple, fluctue depuis plusieurs mois autour de 5 euros la tonne de CO2 seulement.

Ils précisent toutefois que ces corridors peuvent varier selon la situation économique des pays. Les valeurs retenues n’ont pas vocation à être prescriptives mais à jouer un rôle de boussole, à l’instar de la « valeur tutélaire du carbone en France », pour guider non seulement des pays qui souhaitent mettre en place une tarification du carbone alignée avec l’accord de Paris mais aussi des entreprises et des investisseurs qui veulent intégrer le risque climatique dans leurs stratégies. 

Pour cela, il faut créer dans les pays les conditions favorables à l’introduction d’une tarification du carbone. Des politiques complémentaires en matière d’aménagement du territoire, d’infrastructures de transports publics, de fiscalité du foncier et de redistribution des revenus carbone permettront de renforcer les effets positifs du prix du carbone et donc son acceptabilité sociale. Pour un même prix du carbone la quantité de réduction d’émissions induites et l’ampleur des co-bénéfices dépendent de la qualité de ces politiques complémentaires.

La mise en œuvre d’un prix du carbone ne doit donc pas nécessairement se faire de façon uniforme. Les instruments de type taxe ou marché de quotas restent les plus connus et aussi les plus efficaces pour sortir les économies développées de leur dépendance aux énergies fossiles. Dans les pays en développement l’enjeu n’est pas le même. Il s’agit moins de mettre un prix sur les émissions des équipements et des infrastructures existants – elles sont relativement faibles aujourd’hui –  que de financer des nouveaux équipements et infrastructures bas carbone qui permettront d’éviter que ces pays ne verrouillent leur économie dans une trajectoire de développement intensive en carbone. Pour être acceptables, les instruments de tarification du carbone devront essentiellement y être conçus comme des leviers de redirection des financements vers les investissements bas carbone.

C’est pourquoi le rapport Stern-Stiglitz suggère une forme originale d’application du prix du carbone en l’intégrant à des instruments de financement des investissements bas carbone. Si les émissions de CO2 évitées par les projets sont implicitement valorisées par ces instruments financiers à hauteur des valeurs indiquées par le corridor Stern-Stiglitz, alors le risque des investissements bas carbone s’en trouvera considérablement réduit, tout comme le coût de leur financement.

Ce lien entre instruments de la finance verte et tarification du carbone crée des opportunités de coopération Nord Sud innovantes. Les pays du Nord pourraient en effet s’engager à apporter une garantie sur les emprunts contractés par les pays du Sud pour financer leurs projets bas carbone  à hauteur de la valeur des émissions de CO2 évitées par ces projets. Cela permettrait aux pays du sud de financer leurs projets via des « obligations vertes », à un meilleur taux que s’ils émettaient ces obligations en l’absence d’une telle garantie.

Le montant de la garantie n’est pas arbitraire puisqu’il est fondé sur la valeur des réductions d’émissions des projets financés, estimée par les travaux de la commission Stern-Stiglitz. Ce mode de coopération financière pourrait même être comptabilisé au titre des 100 milliards de dollars que les pays du Nord se sont engagés à transférer vers les pays du Sud d’ici 2020 et débloquer ainsi un point de crispation des négociations sur la mise en œuvre de l’accord de Paris.

Au-delà des corridors de valeurs retenus par la commission Stern-Stiglitz, les conclusions du rapport ouvrent des pistes de recherche prometteuses au croisement des agendas du climat, du développement et de la régulation financière. France Stratégie continuera à être très impliquée dans cette réflexion.

Auteurs

Baptiste Perrissin Fabert
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Baptiste
Perrissin Fabert
Anciens auteurs de France Stratégie
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