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Publié le
Jeudi 27 Mars 2014
L'étude « Comment rendre l’agriculture biologique française plus productive et plus compétitive ? », réalisé par des chercheurs de l’INRA pour le CGSP et publié le 14 octobre dernier, est au cœur d’une controverse. Afin qu’elle produise de la connaissance sur les divergences de points de vue, le CGSP et l’INRA ont organisé le 20 mars dernier une réunion présidée par Bertrand Hervieu entre le commanditaire de l’étude (le CGSP), ses auteurs de l’INRA et ouverts aux 141 signataires de la note demandant le retrait du rapport et la réalisation d’une expertise scientifique collective. En voici un résumé.
L'agriculture biologique en débat

Un premier temps de réunion consacré aux critiques émises à l’égard du rapport.

Les éléments échangés étaient, pour l’essentiel, les arguments des notes rédigées par les signataires et les auteurs de l’étude depuis la publication du rapport. Ils ont notamment porté sur :

  • La question initiale : La productivité et la compétitivité sont deux éléments particuliers de l’analyse de la performance de l’AB, perspective dans laquelle s’est placé le CGSP et qui doit être complétée.
  • Les choix méthodologiques : Comment évaluer l’ensemble des performances actuelles de l’AB, en particulier celles relatives à la santé des agriculteurs et des consommateurs ? A quelle échelle peut-on comparer les performances des exploitations en AB : à l’échelle de la parcelle, de l’exploitation, des agroécosystèmes, des régions ? Comment interpréter les chiffres lorsqu’on est dans un domaine où les données sont partielles et les variabilités très grandes en fonction des productions, des milieux, des années, etc. ?
  • L’analyse prospective : Comment anticiper l’ensemble des performances de l’AB en 2020 ? Comment traiter la question des freins et des leviers pour développer l’AB et atteindre l’objectif du Grenelle de 20% de SAU en AB en 2020 ?
  • L’encadrement des travaux d’études : Faut-il, et si oui comment, encadrer le fonctionnement des études telles que celle-ci ?

Dans son propos liminaire, François Houllier a par ailleurs rappelé que l’investissement de la France, notamment de l’INRA, sur les recherches relatives à l’agriculture biologique avait très fortement crû depuis la fin des années 1990 et que cet investissement se traduit aujourd’hui par un volume de publications scientifiques qui place l’INRA parmi les premiers organismes au niveau mondial sur ce sujet.

Amorce d’une réflexion élargie sur l’agriculture biologique

La deuxième partie de la réunion fut consacrée à l’après rapport. La piste de la réflexion collective sur les questions que pose l’agriculture biologique a été privilégiée. Les participants ont évoqué plusieurs questions possibles à ce stade :

  • Comment lutter contre la tendance à la séparation entre productions animales et végétales qui, d’ores et déjà et encore plus si elle se prolonge, pose des problèmes de fertilité des sols ? Quel déploiement territorial de l’AB et des autres systèmes de production ?
  • Si on considère que la pertinence de l’AB est avant tout liée à ses performances écologique et sanitaire, comment mieux prendre en compte ces performances dans l’évaluation de sa compétitivité ?
  • Dans le domaine de l’innovation variétale, comment prendre en compte le fait que les efforts de recherche et d’investissement ont essentiellement été dirigés, depuis 50 ans, vers l’agriculture conventionnelle ? Comment peut-on évaluer le retard qui est lié à la faiblesse du pool de recherches passées ?
  • En matière de politique publique, comment l’AB peut-elle être positionnée par rapport au programme agro-écologique du Ministère en charge de l’agriculture ?
  • En matière d’organisation de la recherche, comment développer les recherches relatives à l’AB, par des programmes dédiés ou par l’insertion de ces recherches dans des programmes plus larges visant la réduction de l’usage des intrants de synthèse (pesticides, antibiotiques, engrais…) ? Ces programmes ne favorisent-ils pas un double effet de fertilisation croisée au bénéfice de l’agriculture biologique et des agricultures conventionnelles ?

Les questions soulevées par le débat

Jean Pisani-Ferry a relevé plusieurs questions à partir des échanges effectués :

  • En matière de recherche :
    • Quels sont les critères d’appréciation de la productivité et de la compétitivité de l’AB ? Lesquels retenir ? Et, comment les traduit-on en indicateurs opérationnels afin d’évaluer la productivité et la compétitivité ?
    • Comment sortir du statique et tenir compte des aspects dynamiques ? Lorsqu’on hérite d’une situation dans laquelle l’effort de recherche s’est porté sur certaines technologies et pas sur d’autres, inévitablement certaines technologies sont en retard par rapport à d’autres. Comment alors connaître le potentiel de l’AB en supposant qu’un effort de recherche, l’accumulation d’expérience créent un potentiel de rattrapage ? C’est une question qui se pose également dans d’autres domaines (ex : dans le secteur de l’énergie).
  • En matière de politiques publiques :
    • Sur les données : Comment compléter les systèmes d’information sur les données et améliorer leur qualité ?
    • Sur le cahier des charges de l’AB : Est-ce qu’il faut relâcher le cahier des charges ? Est-ce que gagner en productivité proprement mesurée signifie accepter des compromis avec le cahier des charges existant ?
    • Au-delà des coûts et des rendements, l’AB induit-elle d’autres créations ou préservations de valeurs justifiant une intervention publique?
    • Sur l’arbitrage entre AB et agro-écologie : Faut-il généraliser l’AB en assouplissant son cahier des charges ou alors conserver une spécificité très forte ?

Trois hypothèses pour la suite

Dans sa conclusion, Bertrand Hervieu a repris trois hypothèses non exclusives, évoquées par François Houllier en introduction ou issues de l’échange, pour prolonger la réflexion :

  • Une ESCO : cette piste ne fait pas complètement consensus. Une ESCO nécessite un commanditaire, des moyens, une question, un corpus de connaissances, un calendrier et du temps (de 2 à 3 années, y compris l’explicitation de la question posée). Elle demande du travail en amont mais cette hypothèse est sur la table ;
  • - Un cycle de séminaires ouvrant sur un programme de recherche : il s’agirait ici d’un travail scientifique autour de l’agriculture biologique et d’un processus pour construire les questions posées à la recherche ;
  • - Un colloque ouvert à l’ensemble des organismes de recherche français et étrangers : cette solution signifierait que l’on ait quelque chose de nouveau à se dire.

Pour lui, le plus profitable serait d’avancer sur les questions de recherche. Obtenir des données de meilleure qualité ne sera possible que lorsque l’objet de recherche sera construit et que l’on saura ce que l’on cherche. C’est un sujet à la fois scientifique, car on fait bouger les lignes et les paradigmes, et c’est aussi un objet politique parce qu’il est sur l’agenda des politiques publiques au niveau européen (PAC) comme français (projet agro-écologique). Il souligne que nous sommes en face d’un grand chantier. Le Ministère de l’agriculture souhaite progresser là-dessus. Il faut donc savoir comment on s’y prend pour avancer autour de ces questions et mobiliser les institutions et les chercheurs qui s’y intéressent et qui partagent une question de recherche.

Conclusions

Le rapport de l’INRA figurant sur les sites Internet de l’Inra et du CGSP sera complété par une annexe regroupant les notes échangées entre les signataires et les auteurs de l’INRA, et le mode d’accession en ligne sera construit de telle sorte que la controverse qu’il a suscitée ne puisse être ignorée du lecteur.

Bertrand Hervieu propose de se donner le temps de la réflexion pour définir la suite concrète de cette controverse. Dans cet esprit, plusieurs rendez-vous vont être programmés :

  • Le 15 avril 2014, l’INRA et le CGSP organisent une réunion d’une demi-journée présidée par Bertrand Hervieu. Elle sera ouverte à l’ensemble des parties prenantes et permettra d’échanger sur les conclusions du rapport, la question posée par le CGSP et le processus de réflexion collective en cours ;
  • En mai-juin : un premier séminaire programmatique sera organisé avec l’ensemble des organismes et chercheurs intéressés par la démarche. Il aurait pour but de définir le dispositif à mettre en œuvre pour conduire une réflexion collective sur l’AB.
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