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Rapport
Publié le
Lundi 20 Avril 2020
La France compte en 2015 16,2 millions de personnes de 60 ans ou plus, dont 2,5 millions de « personnes âgées en perte d’autonomie » (15,3 % des seniors – hors Mayotte [1]), selon la terminologie et la définition large retenue par l’Insee [2]. Parmi celles-ci, seules 22 % vivent en établissement. La très grande majorité des seniors, y compris ceux ayant un besoin de soutien à l’autonomie pour l’accomplissement de certains actes de la vie quotidienne, vivent ainsi à leur domicile, qui reste le lieu où elles désirent vieillir et dans la mesure du possible y être accompagnées et finir leurs jours.
HCFEA - Rapport - Le recours des personnes âgées vulnérables

Téléchargez l'avis sur le rapport du Conseil de l’âge « Le Recours des personnes âgées vulnérables aux emplois et services d’aide à domicile » – adopté en avril 2020

Téléchargez le rapport du Conseil de l’âge « Le Recours des personnes âgées vulnérables aux emplois et services d’aide à domicile » – adopté en avril 2020

Téléchargez les annexes au rapport du Conseil de l’âge « Le Recours des personnes âgées vulnérables aux emplois et services d’aide à domicile » – adopté en avril 2020

Ce rapport a été élaboré par le secrétariat général du Haut conseil avec la collaboration de Carole Bonnet et Roméo Fontaine, collaborateurs scientifiques. Nous remercions également tous les membres, notamment la direction générale de la cohésion sociale et les représentants de fédérations de services à domicile, pour leur relecture attentive et pour leurs commentaires mais également la Fepem pour sa contribution à nos travaux.

Dans le contexte actuel de vieillissement de la population, d’arrivée au grand âge des générations du baby-boom et de préférence pour le maintien à domicile, les besoins d’aide notamment ne feront que s’accroître dans les prochaines années. L’Insee prévoit ainsi que sous réserve de la poursuite de l’amélioration de l’état de santé, la France (hors Mayotte) compterait 4 millions de seniors en perte d’autonomie en 2050.

Si à plusieurs reprises déjà, la priorité au soutien à domicile a été affichée, force est de constater que le « virage domiciliaire » annoncé n’a pas encore eu les résultats escomptés : en atteste la part des personnes âgées vulnérables vivant en établissement, qui a peu évolué ces dernières années. Selon les données du recensement de la population, près de 9,5 %des personnes âgées de 75 ans ou plus vivaient en 2015 en communauté [3], soit une proportion quasiment identique à celle observée en 1968 (9 %). Chez les allocataires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), le constat est le même : depuis 2008, près de 40 % d’entre eux résident en établissement.

Le secteur de l’aide à domicile des personnes âgées vulnérables, terme choisi par le Conseil de l’âge pour remplacer celui de « personnes âgées en perte d’autonomie » [4], est actuellement dans une situation préoccupante et fragile, qui ne lui permet pas en l’état de répondre à la hauteur des enjeux du vieillissement des personnes âgées à leur domicile.

Le secteur souffre d’un émiettement et d’un isolement des services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad). On en compte plus de 7 000 sur le territoire français. Malgré l’unification des deux régimes juridiques applicables aux Saad instaurée par la loi d’adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015 (loi ASV), on reste face à un dispositif extrêmement complexe et à des acteurs aux enjeux divers : d’un côté, des services (souvent « historiques ») autorisés et habilités à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale et tarifés par le conseil départemental qui fixe les prix des prestations et de l’autre, des services (de création plus récente) autorisés et non habilités à l’aide sociale, ayant une autorisation spécifique pour intervenir auprès des bénéficiaires de l’APA (ou de la prestation de compensation du handicap [PCH]) et qui fixent librement leur tarifs [5].

Les conditions de travail pour les professionnels (que ceux-ci soient salariés d’un Saad ou directement employés par la personne âgée) sont particulièrement difficiles (faible rémunération, pénibilité, isolement, déficit de reconnaissance sociale). Du coup, les services doivent faire face à un turnover important et à la pénurie de professionnels en raison du manque d’attractivité des métiers du domicile.

Les politiques départementales de soutien à l’autonomie, sur lesquelles on manque de visibilité et de remontées au niveau national, sont particulièrement hétérogènes en termes d’organisation et de financement. Le pilotage et l’organisation territoriale de l’offre apparaissent insuffisants, la complexité du système de financement et la sous-tarification actuelle des services fragilisent déjà depuis quelques années le modèle économique des structures, qui pour certaines peinent à survivre. On manque d’ailleurs à ce sujet d’études globales et suffisamment robustes sur les coûts réels et les besoins financiers des services.

Tous ces facteurs viennent limiter la capacité du secteur à se moderniser alors qu’une rénovation apparaît nécessaire, et pèsent inévitablement sur la qualité de l’accompagnement offert aux personnes à leur domicile.

Du côté des personnes âgées, leur voix se fait peu entendre.

La revalorisation par la loi ASV des plafonds de l’APA à domicile (c’est-à-dire les montants maximaux pouvant donner lieu à une prise en charge) a permis d’augmenter le niveau des plans personnalisés et facilité une révision des plans d’aide qui étaient saturés (c’est-à-dire qui butaient sur l’ancien plafond) [6]. Les bénéficiaires de l’APA sont ainsi 38 % à bénéficier d’un plan d’un montant supérieur aux plafonds avant réforme à la fin 2016 contre 46 % fin 2017. La revalorisation des plafonds profite notamment aux bénéficiaires classés en groupe iso-ressources 1 (GIR 1) selon la grille Aggir, c’est-à-dire les personnes les plus vulnérables et ayant les plus forts besoins de soutien à l’autonomie. On a néanmoins aujourd’hui peu de visibilité, sur l’évolution des montants des plans d’aide non saturés et de la consommation réelle des plans d’aide notifiés comme sur le contenu précis de l’ensemble des plans d’aide notamment d’un point de vue qualitatif (on sait qu’ils sont composés majoritairement d’aide humaine, quatre plans sur dix comportant également des aides techniques).

En ce qui concerne les restes à charge, la revalorisation des plans d’aide et l’extension du crédit d'impôt aux retraités depuis le vote de la loi de finances 2017 ont permis de les réduire de façon majeure. Dans ces conditions, le Conseil de l’âge a considéré que le taux d’effort des allocataires de l’APA ne faisait pas peser de trop fortes contraintes sur eux et que des ajustements du barème de l’APA n’étaient pas prioritaires [7] au regard des besoins financiers à consacrer pour améliorer l’offre.

Face à une situation jugée préoccupante, le Conseil s’interroge dans la section I du rapport sur ce que les personnes âgées vulnérables sont en droit d’attendre d’un service ou d’un professionnel à domicile (accès aux prestations, notamment l’APA, prévisibilité et transparence des plans d’aide, équité territoriale, offre de services disponible et accessible financièrement et géographiquement, plus grande qualité de service, problèmes analysés dans la sous-section I). Pour répondre aux attentes des personnes âgées et en s’appuyant sur la vision portée par les acteurs et fédérations du secteur de l’aide à domicile, le Conseil appelle à une réforme en profondeur et à la rénovation du modèle de services à domicile (sous-section II). Il en conclut que le coût des interventions à domicile et les besoins de financement seront amenés à augmenter, du fait de la démographie, de l’accroissement – souhaité – des plans personnalisés d’aide et de l’amélioration nécessaire des conditions de travail des professionnels et de la qualité de l’accompagnement (sous-section III).

Dans la section II du rapport, le Conseil s’intéresse plus spécifiquement aux services d’aide à domicile prestataires, à la nature des prestations offertes par ces services, à leur coût de production actuel, à leur modèle de fonctionnement et de tarification ainsi qu’à l’hétérogénéité des politiques départementales et aux conditions de travail et d’emploi des professionnels dans ces services (sous-section I). Il propose de faire des Saad des acteurs structurants de la politique de soutien à domicile des personnes âgées vulnérables et de faire évoluer leurs missions. Il évalue l’augmentation des coûts nécessaires et les besoins de financements associés, en tenant compte de potentielles sources d’économies. Enfin, il interroge le modèle de financement et de tarification actuelle des Saad, qui n’apporte pas toutes les garanties pour les services et pour les personnes âgées, et propose un schéma de financement basé sur la définition d’un tarif opposable unique (sous-section II).

Dans une section III, le Conseil traite d’un autre pan de l’offre de services à domicile, l’emploi direct d’un salarié (en mode direct ou en mode accompagné, c’est-à-dire par l’intermédiaire d’un service mandataire) par la personne âgée vulnérable qui devient alors particulier-employeur. Après une description des différents profils de particulier employeur (âgé de plus de 60 ans, fragile et bénéficiaire de l’APA) et de leur consommation de services à domicile, le Conseil met en avant les avantages et contraintes de l’emploi direct pour le bénéficiaire de l’APA, les biais existants dans le choix de ce mode d’intervention, le coût de ces services et à nouveau l’hétérogénéité des pratiques départementales (sous-section I). Il s’interroge enfin sur les perspectives de développement de ce secteur (sous-section II).

Une note liminaire au rapport apporte un éclairage sur le secteur des services à la personne dans son ensemble, les caractéristiques du recours des personnes âgées de plus de 60 ans aux services à domicile, les aides auxquelles elles peuvent prétendre et le coût pour les finances publiques.

Périmètre du rapport

Le Conseil de l’âge a choisi de centrer son propos :

  • sur les personnes âgées vulnérables de 60 ans et plus, ayant recours à un service ou à un professionnel à domicile pour satisfaire leurs besoins de soutien à l’autonomie. Une part importante des développements porte ainsi sur les bénéficiaires de l’APA, c’est-à-dire ayant été classés par les équipes médicosociales des départements en GIR 1 à 4. La question des GIR 5 et 6, qui bénéficient d’autres aides existantes financées notamment par les caisses des retraites est peu abordée, même si elle justifierait d’être intégrée dans une réflexion plus globale ;
  • sur les aides humaines à domicile (la question des aides techniques et des aménagements du logement ayant déjà été abordée dans les précédents rapports du Conseil [8]) ;
  • sur les Saad. On ne couvre donc pas l’ensemble des services à domicile et notamment les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), qui interviennent en complémentarité des Saad. Le rapport aborde tout de même la question primordiale de l’articulation entre l’aide et le soin, de la place des Saad dans l’ensemble de l’offre sociale, médicosociale et sanitaire, du parcours de la personne et de l’accompagnement global nécessaire de la personne âgée. Il interroge également la pertinence du modèle des services polyvalents d’aide et de soins à domicile (Spasad). Ces questions, notamment les liens avec le secteur sanitaire, devront être prolongées car ils constituent une dimension essentielle de l’accompagnement de la personne âgée vulnérable à son domicile ;
  • sur l’emploi d’un salarié à domicile par la personne âgée, secteur trop souvent traité à part dans les rapports publics, alors pourtant que ces professionnels font partie intégrantes de l’offre à domicile, qu’ils portent déjà un tiers du volume des heures totales d’intervention à domicile et qu’ils sont soumis à des difficultés et enjeux similaires en termes d’accompagnement des personnes.

Si les questions des conditions de travail des professionnels, d’attractivité des métiers et de la qualité de l’accompagnement à domicile apparaissent comme prioritaires, ne sont ici repris que les principaux éléments de constats. Le Conseil de l’âge ne formule pas de propositions à ce sujet et renvoie à l’analyse plus approfondie faite par d’autres rapports, notamment celui de la mission de Mme El Khomri [9].

La notion de « domicile » renvoie dans ce rapport au domicile d’origine, privé, familial ou conjugal, mais également aux autres formes de domicile, dits « domiciles intermédiaires », « regroupés » ou « partagés » (résidence autonomie, résidences services seniors, habitat inclusif, intergénérationnel). Ces derniers sont appréciés des personnes âgées et sont amenés à se développer dans les prochaines années. La réflexion menée ici est néanmoins indissociable d’une réflexion plus large à mener sur la notion domiciliaire au sens du chapitre prospectif 2019 de la CNSA [10], qui considère que quel que soit le lieu de vie de la personne, domicile ou institution, la personne a les mêmes droits à vivre « chez soi » (droit à l’autonomie, au respect de la dignité et intimité, à une vie sociale, etc.) et dans les mêmes conditions.


[1] 700 000 seniors peuvent être considérés en perte d’autonomie sévère.
[2] Insee Première, n° 1767, juillet 2019.
[3] Inclus principalement, au sens du recensement, les maisons de retraites ainsi que les services de moyen ou de long séjour des établissements de santé.
[4] Depuis son avis du 30 septembre 2019 sur la terminologie du grand âge, le Conseil de l’âge emploie le terme de « personnes âgées vulnérables » pour désigner les personnes âgées encore souvent qualifiées de « dépendantes » ou « en perte d’autonomie », dans un souci de changer le regard sur le grand âge et d’adopter une terminologie plus positive, inclusive et participative, valorisant les compétences de la personne âgée, le maintien de sa dignité et de son libre arbitre. Cette appellation recouvre très majoritairement les allocataires de l’APA. Le rapport n’aborde pas ici la situation des personnes âgées en situation de handicap.
[5] Dans la limite d’un taux d’évolution fixé par arrêté.
[6] Louis Arnault, 2019, Montants d’APA à domicile depuis 2011: une réallocation au bénéfice des plus dépendants, Études et Résultats, n°1118, Drees, juillet.
[7] Contribution du Conseil de l’âge à la concertation Grand âge et autonomie, note 3 : les politiques de soutien à l’autonomie des personnes âgées, décembre 2018.
[8] Notamment le rapport du Conseil de l’âge, « Le soutien à l’autonomie des personnes âgées à l’horizon 2030 », novembre 2018.
[9] Mission El Khomri.
[10] Démarche prospective du Conseil de la CNSA, « Chapitre 2 : Chez soi, l’approche domiciliaire », juillet 2019.