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Point de vue
Publié le
Vendredi 24 Mars 2017
Le vote du Brexit et les suites de la crise de l’euro ont ouvert une phase de débat sur les évolutions souhaitables de l’Union européenne et notamment sur son versant relatif à la monnaie unique. Avec le Livre blanc sur l’Avenir de l’Europe, le Président de la Commission européenne a lancé la réflexion autour de cinq scénarios pour l’Union européenne. France Stratégie s’inscrit dans cette réflexion et verse au débat une proposition d’un nouveau dispositif, le « fonds Spinelli ». Ce fonds vise par un mécanisme de prêts contingents à contribuer à stabiliser la zone euro en cas de choc économique en investissant dans la formation et l’éducation des personnes les plus exposées à la crise.
Le Fonds Spinelli. Un contrat européen pour la formation

Les initiatives européennes concrètes, visibles et positives sont indispensables pour reconquérir le cœur de l’opinion publique. Mais le projet européen et singulièrement la monnaie unique requièrent aussi, pour leur survie, des réformes de fond, moins visibles mais tout aussi indispensables. Il faut pouvoir agir sur ces deux dimensions, en visant des résultats à court terme, qui puissent avoir dans le même temps une valeur structurante.

Ainsi, nombre d’économistes s’accordent sur la nécessité, pour la pérennité de la monnaie unique, d’une union budgétaire pour la zone euro[1]. Dans ce domaine, la coordination budgétaire s’avère très difficile et le chacun pour soi n’est pas une option viable. Les solutions ne peuvent venir que de mesures qui, prises ensemble, formeront un budget commun d’une ampleur suffisante pour stabiliser un ou plusieurs pays en proie à un ralentissement économique profond et brutal. Les propositions se concentrent à ce jour sur une assurance chômage européenne qui aurait le mérite d’exercer cette force équilibrante au niveau macroéconomique tout en offrant une solidarité européenne dans un domaine très concret pour les citoyens européens[2].

Il est un autre domaine qui pourrait allier ces deux propriétés et qui aurait en outre la vertu de pouvoir être conçu sans transferts financiers entre États membres. C’est celui des compétences et de la formation selon un dispositif simple et réactif, à même d’être mobilisé rapidement en cas de choc économique.

Pour ce faire, les pays de la zone euro mettraient en place un mécanisme qu’ils déclencheraient collectivement en cas de ralentissement marqué de la conjoncture dans un ou plusieurs pays de la zone.

Ce mécanisme comporterait quatre volets :

  • le premier volet servirait à financer une année supplémentaire d’étude à des étudiants déjà engagés dans l’enseignement supérieur ;
  • le deuxième serait destiné aux personnes en situation de chômage et aux jeunes pour financer une période de formation ou d’apprentissage par exemple d’une année ;
  • le troisième volet serait destiné à des salariés d’entreprises en proie à un surplus temporaire de main-d’œuvre dû au ralentissement conjoncturel de la demande. Ce volet fonctionnerait à la manière du « Kurzarbeit », des accords défensifs de maintien dans l’emploi, utilisés largement en Allemagne durant la crise[3]. Ces accords prévoient un dispositif de chômage partiel couplé à un programme de formation pour les salariés en surplus temporaire financé pour partie par la collectivité ;
  • Le quatrième volet concernerait les réfugiés pour leur apporter une formation dans la langue du pays d’accueil qui leur permette également d’acquérir des compétences leur facilitant l’entrée dans l’emploi.

Plusieurs conditions et un mécanisme spécifique de financement devraient être prévus.

  • Les formations dispensées le seraient par des institutions éducatives et de formation professionnelle sélectionnées via un appel à projet européen, ce qui peut être fait en quelques semaines en mobilisant en priorité les institutions de formation existantes.
  • Ces formations devraient cibler des emplois en tension et des besoins non satisfaits des entreprises dans certaines compétences comme la gestion des données de masse, le codage, etc. Ces besoins pourraient être établis en amont par un réseau européen d’institutions qui suivent l’évolution de l’adéquation des emplois et des compétences.
  • Le contenu et le programme de ces formations devraient être établis ex ante en répondant à un cahier des charges précis fondé sur les meilleures pratiques pédagogiques. De la même manière, les compétences acquises pourraient être sanctionnées par un examen standardisé au niveau européen ce qui conforterait la validité européenne du diplôme et de la formation, et faciliterait ainsi la mobilité des travailleurs.
  • Le coût de la formation est en moyenne de 14 000 euros par an et par personne formée en France dans l’enseignement supérieur. Si l’on retient ce chiffre moyen, devraient y être ajoutés 9 600 euros par an (800 euros par mois) correspondant à une allocation mensuelle que percevrait la personne en formation. Cette allocation serait complétée, dans le cas de salariés, par leur entreprise pour limiter la perte de salaire. Ce serait donc en France un coût de l’ordre de 24 000 euros par an et par personne qui serait ajusté en fonction des standards de pouvoir d’achat dans les autres pays.
  • Le financement serait assuré par un prêt à remboursement contingent sous la forme d’une taxe de 20 % sur les revenus futurs de la personne formée qui ne serait prélevée que sur la part des revenus supérieure au salaire minimum (ces seuils peuvent être définis par pays). Ce serait l’administration fiscale du pays de résidence qui serait chargée de percevoir la taxe, ce qui se traduirait par des coûts administratifs de gestion très faibles et une garantie de recouvrement.
  • La solidarité européenne interviendrait sous la forme d’une garantie solidaire pour le fonds qui emprunterait sur les marchés les sommes nécessaires au plan de formation en remboursant les sommes empruntées au fur et à mesure du paiement de la taxe par les personnes ainsi formées.

Ce dispositif présente plusieurs propriétés très utiles pour atteindre les deux objectifs de stabilisation macroéconomique et d’un bénéfice direct pour les citoyens.

  • Il permettrait une relance budgétaire dans les pays affectés par un ralentissement économique. Pour 250 000 personnes formées dans un pays comme la France sur une période d’une année, ce seraient 6 milliards d’euros qui seraient injectés dans l’économie nationale sans peser sur les finances publiques. C’est donc une relance budgétaire de 0,3 % de PIB qui pourrait être ainsi enclenchée, ou plus si nécessaire.
  • Le dispositif permettrait d’améliorer le niveau de compétence de la population active, donc de permettre un redémarrage plus tôt et plus fort de la croissance en luttant contre les effets d’hystérèse (la perte durable d’employabilité des personnes au chômage). Ainsi, une action massive à fort impact immédiat se combinerait avec un investissement de moyen et long terme portant sur l'un des facteurs clés de la compétitivité.
  • Le financement par une taxe sur les revenus futurs supérieurs à un certain seuil est une incitation à ce que les personnes les moins formées soient celles qui choisissent en priorité de bénéficier de ce dispositif car ce sont elles pour lesquelles l’espérance de gains futurs est la plus grande. Ce sont également elles qui sont les plus directement touchées par le chômage en période de récession.
  • Contrairement à la plupart des investissements traditionnellement lancés dans une optique de relance budgétaire, l’intervalle est court entre la décision d’enclencher le dispositif et le déboursement effectif des sommes, tout au plus quelques semaines pour les premiers paiements. En effet, accroître la capacité des institutions de formation ne réclame que peu d’investissements lourds : d’abord en faisant appel aux enseignants en place puis, s’ils sont en nombre insuffisants, en recrutant de nouveaux formateurs, sans difficulté particulière en période de fort chômage conjoncturel. Disposer de locaux et d’équipements supplémentaires pour dispenser la formation n’est pas un obstacle majeur, notamment en utilisant toutes les facilités horaires des institutions éducatives existantes ou en louant des locaux ad hoc.
  • Les instituts de formation ne percevraient la dotation correspondant au coût de la formation que si le bénéficiaire réussissait l’examen final, ce qui inciterait ces institutions à sélectionner à l’entrée des individus motivés et à même d’obtenir le diplôme. Le bénéficiaire rembourserait la différence entre son allocation de subsistance et les allocations auxquelles il aurait eu droit en restant dans la situation qui prévalait avant la formation, par le même mécanisme contingent à son revenu futur. Seuls les individus avec une forte espérance de gains sur leurs revenus futurs du fait de la formation seraient incités à s’enrôler. Ces individus seraient donc ceux ayant le niveau de qualification le plus faible au départ ou avec la qualification la moins adaptée aux emplois disponibles. Ainsi, grâce au jeu vertueux de ce double système d’incitations, ce sont les individus pour lesquels la formation serait la plus bénéfique et qui auraient le plus de chance de réussir qui participeraient au dispositif.
  • Les personnes qui entreraient dans le dispositif de formation ne seraient plus sur le marché du travail durant la période, ce qui laisserait plus d’opportunités aux autres demandeurs d’emplois. Elles bénéficieraient d’un revenu garanti durant la période de formation et de la perspective de trouver un meilleur emploi à la sortie. C’est autant de personnes qui ne verraient pas leurs revenus baisser substantiellement, ce qui soutiendrait la consommation et éviterait au pays de s’enliser dans une phase de récession.
  • Le mécanisme ne ferait pas appel à des transferts financiers entre pays. Il reposerait sur une garantie solidaire qui ne serait probablement jamais appelée compte tenu du fait que le risque principal, celui du recouvrement, serait adossé aux administrations fiscales nationales. Si malgré tout, trop de bénéficiaires d’un pays ne remboursaient pas, c’est le budget national qui devrait compenser, mais cela interviendrait une fois le pays sorti de la période économique difficile.

Grâce à cette initiative, les pays de la zone euro pourraient rapidement mettre en place un mécanisme européen de solidarité qui interviendrait très directement en cas de difficultés économiques dans la vie quotidienne des personnes pour leur ouvrir des perspectives d’amélioration de leurs revenus et de leur vie future. Ce mécanisme jouerait le rôle de stabilisateur au niveau macroéconomique sans nécessiter de transferts entre pays de la zone euro. Il permettrait de lutter contre le chômage de masse en période de récession tout en améliorant le stock de capital humain du pays, ce qui peut accélérer et amplifier la reprise. Il offrirait également un mécanisme souple d’ajustement de l’emploi pour les entreprises dans les périodes difficiles sans déperdition de savoir-faire et de main-d’œuvre, mais au contraire en les améliorant.

Ce dispositif serait envisageable doté d’un élément subventionnel : une partie du coût total serait prise en charge par les pouvoirs publics et, dans ce cas, des transferts au niveau européen par exemple via le budget de l’Union européenne pourraient être mis en place. Ce mécanisme conviendrait pour l’Union européenne et pas seulement pour la zone euro. Il pourrait également être pérenne, la composante subventionnelle intervenant par exemple en cas de récession pour amplifier la propriété contra-cyclique d’un tel mécanisme.

 

Pour aller plus loin découvrez la note d'analyse Le Fonds Spinelli : un pacte européen pour les compétences

 


[1] Ragot X., Bénassy-Quéré A. et Guntram W. (2016), « Quelle union budgétaire pour la zone euro ? », Les Note du CAE n°29, février.

[2] Lellouch T. et Sode A. (2014), « Une assurance chômage pour la zone euro », Trésor-Éco n°132, juin. Épaulard A. et Sode A. (2015), « Une assurance chômage au niveau de la zone euro ? », billet, France Stratégie, octobre.

[3] OECD (2010), "Employment Outlook 2010 – How Does Germany Compare?".

Auteurs

Vincent Aussilloux
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