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Note d'analyse
Publié le
Mercredi 22 Février 2023
Les prix du logement, du transport et de l’alimentation ont beaucoup progressé ces cinq dernières années, surtout au cours des années 2021 et 2022. Cette hausse des prix affecte différemment les ménages selon leur profil socio-économique, leur localisation et la structure de leurs dépenses. C’est à ces différences que France Stratégie s’intéresse, en complément des notes publiées la semaine dernière sur le coût de la vie dans les territoires.
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Téléchargez la note d'analyse 119 - Alimentation, logement, transport :
sur qui l’inflation pèse-t-elle le plus ?

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France Stratégie s’est récemment intéressée à la façon dont le pouvoir d’achat des ménages dépend de leur territoire de résidence[1]. Dans cette publication, intitulée « Restes à dépenser et territoires » et parue en février 2023, le « reste à dépenser » renvoie à ce qu’il reste aux ménages une fois qu’ils ont fait face aux dépenses qui leur permettent de se nourrir, de se loger et de se déplacer. Deux résultats principaux ressortent de l’analyse : i) à revenu et à configuration familiale donnés, le lieu de vie influence peu le reste à dépenser, exception faite de la région parisienne qui se distingue par un prix du logement exceptionnellement élevé ; ii) si l’on observe des écarts de reste à dépenser moyen d’un territoire à l’autre, c’est d’abord parce que les différents territoires accueillent des ménages différents, tant en termes de ressources que de configuration familiale (personnes seules/familles) ou de position dans le cycle de vie (actifs/retraités). Mais ce travail reposait sur la dernière enquête Budget de famille, qui date de 2017. Or, depuis cette date, les prix de nombreux postes de dépenses ont beaucoup augmenté, tout particulièrement en 2022. Dans quelle mesure l’inflation vient-elle modifier les conclusions établies pour les années précédentes ? Quels sont les ménages les plus affectés par les hausses de prix intervenues sur les biens et services associés aux dépenses d’alimentation, de transport et de logement depuis 2017, et de façon plus sensible encore depuis le début de l’année 2022 ?[2]

Des hausses de prix très contrastées d’un type de produit à l’autre

Si l’inflation occupe tous les esprits, les hausses de prix varie fortement d’un type de bien à l’autre. C’est ce que montrent les graphiques qui représentent l’évolution des prix entre mi-2017 et fin 2022 pour les différentes composantes des dépenses d'alimentation, de logement et de transport.

Les hausses les plus spectaculaires concernent, sans surprise, les énergies fossiles : carburant des véhicules, gaz naturel et gaz de ville, ou encore fioul des chaudières affichent des hausses souvent supérieures à 50 %, et pouvant même atteindre 140 % pour le fioul domestique. Ces hausses affectent aussi, par contrecoup, tous les biens et les services qui incorporent un fort contenu énergétique au cours du processus de production ou qui ont subi des ruptures d’approvisionnement liées à la guerre entre la Russie et l’Ukraine. C’est vrai pour la plupart des produits alimentaires, comme les huiles et graisses, les fruits et légumes, les viandes et poissons, mais aussi pour les services de transport et les véhicules neufs.

Certains produits ou services ont en revanche été relativement épargnés par la hausse des prix, soit qu’ils incorporent moins de ressources énergétiques, soit que leurs prix sont réglementés d’une façon ou d’une autre. C’est le cas des loyers, qui n’ont augmenté que de 2 % entre 2017 et 2022, mais aussi des services de fourniture d’eau, des assurances (habitation ou véhicules à moteur), du transport en métro ou tramway ou des péages. Tous ont connu des hausses de prix relative- ment contenues.

 
 

L’énergie : premier contributeur à la hausse des dépenses

Si les différents postes de dépenses ont subi des hausses de prix très contrastées, leur poids dans le budget des ménages est également très variable. Un bien ayant connu une forte hausse, mais représentant un poste budgétaire relativement mineur dans le budget des ménages contribuera moins au renchérissement du panier considéré ici (alimentation, logement et transport) qu’un bien ayant connu une hausse modérée, mais représentant une part importante de ce panier.

Dans les graphiques suivants, chaque sous-poste de dépense est localisé dans un plan permettant à la fois de juger de son poids dans le poste étudié (axe horizontal) et de la hausse de son prix entre 2017 et 2022[3] (axe vertical). Plus un bien est situé en haut et à droite du graphique, plus sa contribution à la hausse du poste considéré sera importante.

 

 

Dans ces trois graphiques, le poste qui se distingue est sans conteste le carburant des véhicules thermiques : il pèse très lourd dans le budget transport des ménages et son prix a beaucoup augmenté. À l’inverse, l’achat d’automobile, qui pèse encore plus lourd dans ce budget, a subi une augmentation plus modérée. La hausse a été plus forte pour les voitures neuves que pour les voitures d’occasion, mais elles ne représentent qu’un quart des ventes de voitures chaque année. De même, les loyers pèsent très lourd dans la dépense de logement des ménages, mais ils ont très peu augmenté sur la période.

On peut également représenter ces trois postes de dépense (alimentation, transport et logement) dans un plan indiquant i) leur poids dans le revenu disponible des ménages et ii) l’évolution du prix de chaque poste pris dans son ensemble (voir Graphique 5). C’est le prix du transport qui a le plus augmenté entre 2017 et 2022 (+18 %), devant l’alimentation et le logement (+15 % chacun). Globalement, le panier a augmenté de 16 % sur la période. Mais c’est le poste logement qui pèse le plus lourd (près de 20 % du revenu disponible des ménages) devant l’alimentation (13 %) et le transport (11%).

 

 

Il est possible de calculer avec précision la contribution de chacun des postes de dépense étudiés dans la hausse du prix du panier (voir Graphique 6). Les dépenses liées à l’alimentation, au logement et aux transports représentent près de 44 % du revenu disponible des ménages de France métropolitaine. Il apparaît que la hausse du prix des carburants destinés aux véhicules particuliers contribue à plus d’un cinquième de la hausse du prix de ce panier, à comportements des ménages inchangés (c’est-à-dire avec le même volume de consommation que celui observé en 2017). Les dépenses énergétiques liées au logement (gaz, électricité, fioul, combustibles solides, butane/propane) contribuent ensemble à près d’un quart de la hausse du prix du panier.

 

 

L’analyse menée jusqu’ici met donc bien en évidence le rôle fondamental des produits énergétiques dans la hausse des dépenses d’alimentation, de transport et de logement. Néanmoins, d’un type de ménage à l’autre, le poids de chacun des postes et sous-postes diffère assez largement. Ces différences peuvent contribuer à exposer ou au contraire à protéger les ménages de la hausse des prix intervenue depuis 2017.

 

Le poids des différents postes de dépenses varie d’un ménage à l’autre

Parce qu’ils ont des contraintes, des besoins et des préférences différentes, les ménages allouent une part variable de leur revenu aux différents postes de dépenses étudiés ici. Pour illustrer ce propos, on se concentrera ici sur des postes de dépenses ayant une contribution importante à la hausse du panier étudié ici pour l’ensemble des ménages.

 

Comme le montre le graphique suivant, plus on est pauvre, plus ces postes de dépense représentent une part importante des ressources financières disponibles annuellement (graphique de gauche). Les principaux postes du panier alimentation, logement et transport représentent 77 % du revenu disponible des ménages du premier décile (10 % les plus pauvres), mais moins de 20 % du revenu disponible des ménages du dixième décile (10 % les plus riches). Le graphique de droite montre également que la structure de dépense n’est pas la même d’une catégorie de niveau de vie à l’autre. Ainsi, la part des loyers dans le budget total diminue lorsque le niveau de vie augmente (moins de locataires, plus de propriétaires). C’est l’inverse pour le poste « achat de véhicules » qui prend une part de plus en plus importante de la dépense au fur et à mesure que le niveau de vie des ménages s’élève. On notera aussi que c’est pour les classes moyennes que la part du carburant dans le total des dépenses considérées ici est l>a plus importante.

 

 

On peut réaliser le même exercice en distinguant cette fois les ménages selon leur localisation. Le graphique ci-dessous porte sur la localisation des ménages par rapport au centre de leur zone d’emploi : vivent-ils proches du centre ou à sa périphérie ? En termes de poids dans le revenu disponible, les différences d’un type de ménage à l’autre ne sont pas notables, même si c’est au centre des zones d’emploi que les dépenses analysées ici monopolisent la part la plus importante des revenus des ménages. En termes de structure de dépense, les écarts sont plus notables : place prépondérante des loyers et charges collectives au centre des zones d’emploi, importance croissance des dépenses liées à l’automobile (carburant, assurance, entretien, achat d’automobile) au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre.

 

 

Ce type de raisonnement a été mené pour l’ensemble des sous-postes du panier et pour d’autres typologies de ménages. Il nous permet, in fine, de mesurer l’évolution du prix de ce panier, toujours à volume de consommation inchangé, pour les différentes catégories de ménages et de déterminer quels sont les ménages les plus affectés par la hausse des prix de ces cinq dernières années.

Les ménages dont le panier augmente le plus ne sont pas forcément les plus fragilisés

Connaissant le poids des différents sous-postes de dépenses dans le panier pour chaque type de ménage, il est possible de calculer la hausse du prix de ce panier, à volume de consommation inchangé, pour les différents types de ménage. Dans cet exercice, on fait l’hypothèse que l’évolution des prix intervenue entre 2017 et 2022 est homogène sur le territoire.

Nous présentons tout d’abord les niveaux d’inflation du prix de ce panier en fonction des caractéristiques du ménage hors localisation (voir graphiques suivants). La hausse du prix du panier est exprimée à la fois en référence au panier lui-même, mais aussi en fonction du revenu disponible du ménage à son niveau de 2017. En effet, il n’est évidemment pas équivalent de subir 15 % de hausse sur un panier qui représente 20 % de son revenu ou bien de subir cette même hausse, mais sur un panier qui représente 60 % de son revenu.

 

 

Le diagnostic sur les ménages les plus touchés par la hausse des prix diffère fortement en fonction de ce que l’on regarde. Si l’on ne s’intéresse qu’à la hausse du panier, elle est, du fait des différences dans sa composition d’un ménage à l’autre, un peu plus forte pour les classes moyennes que pour les autres ménages, presque deux fois plus forte pour les propriétaires que pour les locataires, et croît fortement avec l’âge de la personne de référence. Les loyers représentent en effet respectivement 46 % et 37 % du coût du panier alimentation, logement et transport pour les locataires du parc privé et ceux du parc social. Or les loyers ont très peu augmenté entre 2017 et 2022 (+ 3 %), tirant donc vers le bas la hausse moyenne de l’ensemble du panier pour ces ménages.

Mais si l’on exprime la hausse du coût de ce panier en pourcentage du revenu des ménages (à son niveau de 2017), l’impact de la hausse décroît fortement avec le décile de niveau de vie, car le poids du panier dans le revenu des ménages décroît à mesure que leur niveau de vie augmente. Les différences entre âge et statut d’occupation sont, pour leur part, fortement estompées. Les ménages jeunes, qui sont le plus souvent locataires, sont moins affectés par la hausse des prix : celle-ci atteint environ 6 % de leur revenu, contre 8 % pour les plus de 65 ans. Les loyers pèsent lourd dans leur budget, mais ils ont peu augmenté.

Si l’on s’intéresse à la hausse de notre panier en fonction de la localisation du ménage, là encore, le fait de rapporter sa hausse au revenu des ménages estompe fortement les différences (voir infra). Naturellement, le panier augmente davantage lorsque les logements sont plus grands, que la part des propriétaires est plus importante ou encore lorsqu’il est nécessaire de prendre sa voiture pour se déplacer. C’est le cas loin du centre des zones d’emploi, en zone peu dense plutôt qu’en zone dense, en couronne des aires urbaines plutôt que dans leurs pôles.

 

 

Ces différences sont néanmoins largement atténuées lors- qu’on rapporte la hausse du panier au revenu des ménages. Par exemple, la hausse du panier atteint plus de 18 % en commune rurale (hors unité urbaine) contre 13 % dans l’agglomération parisienne, soit cinq points d’écart. Mais cette hausse représente 8 % du revenu des ménages des communes rurales et 5 % du revenu des ménages de l’agglomération parisienne. L’écart est ramené à trois points, ce qui reste significatif.

 

Il reste encore à mettre en perspective l’évolution du prix de notre panier avec celle des revenus. Pour l’ensemble des ménages de France métropolitaine, le coût de ce panier a augmenté de 15,9 %, avec des variations potentielle- ment importantes d’un ménage à l’autre en fonction du poids de chaque poste de dépenses au sein du panier. On ne dispose pas de données permettant de connaître l’évolution des niveaux de vie des ménages depuis 2017 en fonction de leur localisation, ce qui rend la comparaison difficile. On peut néanmoins regarder ce que deviendraient les restes à dépenser des ménages en 2022 en s’appuyant sur deux hypothèses fortes :

  • Hypothèse 1 : les volumes consommés ne sont pas modifiés par l’évolution des prix
  • Hypothèse 2 : les niveaux de vie de tous les ménages ont progressé, entre 2017 et 2022, comme le revenu disponible brut des ménages par unité de consommation[4] , soit une augmentation de 15 % en euros courants.

Avec ces hypothèses, la hiérarchie des territoires, en termes de restes à dépenser moyens des ménages[5] , serait conservée. Néanmoins, comme on peut s’y attendre, le reste à dépenser moyen des ménages progresserait moins dans les territoires où les dépenses énergétiques sont importantes, c’est-à-dire là où les ménages prennent leur voiture pour se rendre à leur travail et où ils vivent en maison individuelle avec un chauffage reposant souvent sur l’utilisation d’énergies fossiles..

 

 

Conclusion

Le coût des biens et services associés au logement, au transport et à l’alimentation a connu une hausse importante entre 2017 et fin 2022, notamment en 2021-2022. En moyenne, le coût du panier a progressé de 16 %, avec de fortes disparités d’un produit à l’autre. C’est d’abord le coût de l’énergie qui a beaucoup augmenté, entraînant avec lui le prix des biens et services qui nécessitent une forte quantité d’énergie pour leur production.

La composition du panier étudié diffère d’un ménage à l’autre, les rendant plus ou moins sensibles à la hausse des prix. On observe ainsi une disparité relativement importante de hausse du coût de ce panier en fonction des caractéristiques des ménages (âge, niveau de vie, localisation, statut d’occupation du logement, etc.). La hausse est la plus forte pour les classes moyennes, les ménages ruraux, les propriétaires et les personnes âgées. Mais quand on rapporte l’augmentation du coût du panier au revenu des ménages (à son niveau connu en 2017), c’est pour les ménages pauvres que l’impact est le plus fort. Le fait de rapporter la hausse du coût du panier au revenu du ménage estompe aussi les différences d’impact d’un territoire à l’autre. Les conclusions formulées dans la note d’analyse consacrée aux différences de « reste à dépenser » d’un territoire à l’autre restent donc globalement valables, sous deux hypothèses : que les ménages des différents territoires ne se soient pas adaptés de façon différenciée aux hausses de prix ; que les niveaux de vie des ménages des différents territoires n’aient pas évolué de façon trop divergente entre 2017 et 2022.


[1] Cusset P.-Y. et Trannoy A. (2023), « Restes à dépenser et territoires », La Note d’analyse, n° 118, février. Contrairement à ce qui était fait dans cette publication, les remboursements d’emprunt immobilier ne sont pas ici intégrés au poste logement.

[2] Ce travail a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence nationale de la recherche au titre du Programme d’investissements d’avenir portant la référence ANR-10-EQPx-17 (Centre d’accès sécurisé aux données, CASD)..

[3] L’inflation est mesurée en comparant le prix moyen du bien sur l’année 2022 à son prix au milieu de l’année 2017.

[4] Pour comparer les niveaux de vie de ménages de taille ou de composition différente, on divise les revenus par le nombre d’unités de consommation : 1 unité pour le premier adulte du ménage, 0,5 unité pour les autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 unité pour les enfants de moins de 14 ans.

 

Auteurs

Pierre-Yves Cusset - DSPS - Equipe
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Pierre-Yves
Cusset
Société et politiques sociales
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Alain
Trannoy
Anciens auteurs de France Stratégie
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