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Publié le
Jeudi 10 Janvier 2019
Le quatrième exercice de prospective des métiers et des qualifications est lancé. Nouvel horizon : 2030. Avec quelles incertitudes, quelles méthodes et pour répondre à quels besoins : les réponses des pilotes de l’exercice.
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Exercice quinquennal mené conjointement avec la DARES, la Prospective des métiers et des qualifications – PMQ de son petit nom – est un outil stratégique très attendu par le décideur et les acteurs de la formation, de l’insertion et de l’accompagnement dans l’emploi qui ont besoin d’une visibilité sur les métiers et les compétences de demain. Bonne nouvelle : le quatrième du nom, qui aura pour horizon 2030, est lancé. Explications avec Cécile Jolly, pilote de l’exercice, et Jean Flamand, responsable data.

À quoi sert un exercice de prospective des métiers en 2019 ?

Cécile Jolly : Anticiper les besoins en qualifications des entreprises est une nécessité pour mieux accompagner et se préparer aux mutations qui attendent le monde du travail. Or l’impact de ces mutations est particulièrement incertain aujourd'hui : combien d’emplois seront détruits et créés du fait de la conversion écologique et de la révolution numérique ? Et comment le contenu des métiers va-t-il évoluer pour s’adapter à ces transformations ?

Jean Flamand : La seule variable qu’on peut anticiper précisément c’est le facteur démographique, c'est-à-dire le nombre de départs de fin de carrière. C’est une donnée importante : ces départs représentaient 80 % des postes à pourvoir dans le précédent exercice et la proportion devrait rester stable, avec le départ à la retraite des populations en emploi les plus nombreuses, celles du baby-boom.

Cécile Jolly : L’autre nécessité de l’anticipation est liée au fait que nous sortons d’une crise qui a éloigné durablement de l’emploi des populations nombreuses : il faut aujourd'hui les réinsérer professionnellement, ce qui signifie souvent les former. C’est l’objectif du Plan d’investissement dans les compétences. Pour orienter les chômeurs de longue durée, notamment les moins qualifiés, mais aussi les jeunes, vers les bonnes formations, celles qui préparent aux métiers de demain, on a besoin de connaître au moins les grandes tendances dans l’évolution des métiers. On ne peut évidemment pas prévoir précisément les compétences qui seront les plus demandées dans dix ans, mais on peut borner l’incertitude et identifier les compétences qui seront valorisables dans différents métiers ou secteurs.

Jean Flamand : C’est aussi pour cette raison que le nouvel exercice inclura une dimension régionale dans la mesure où ce sont les régions qui mettent en œuvre le Plan d’investissement dans les compétences.

Concrètement, comment on anticipe les métiers de demain ? Quelle méthode utilisez-vous ?

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pmq2030.jpg, par France Stratégie

Cécile Jolly : C’est d’abord un exercice quantitatif très lourd. On utilise toutes les données statistiques disponibles sur l’emploi et les métiers pour réaliser des projections qui tiennent compte de ce qu’on a observé dans le passé.

Jean Flamand : Concrètement, l’exercice consiste à mettre en regard la population active par niveau de diplôme et les besoins en main-d’œuvre des entreprises par secteur. On en déduit les créations nettes d’emplois par métier. Ensuite on additionne ces créations nettes d’emplois avec le nombre potentiel de postes laissés vacants par les seniors qui partent en retraite. Et on obtient un nombre de postes à pourvoir par métier.

Donc vous définissez une projection unique ou vous envisagez plusieurs scénarios ?

Cécile Jolly : Ça c’est le cadrage général. Après on le décline effectivement en plusieurs scénarios qui reposent sur des hypothèses contrastées. Mais pas des hypothèses binaires : transition heureuse versus transition malheureuse ! Plutôt des hypothèses qui répondent aux grandes questions qu’on se pose en ce moment : la transition écologique sera-t-elle coordonnée au niveau international ou l’Europe va-t-elle continuer de s’y engager seule ? Quel va être l’impact de la transition numérique et plus largement du progrès technologique sur les créations d’emplois et la répartition de la valeur ajoutée ? Pour l’instant, il n’y a pas de consensus sur le nombre et la nature des métiers qui seront potentiellement détruits. Est-ce que ce sera plus ou moins que lors de la précédente révolution industrielle ? Les avis divergent, donc nous allons faire plusieurs hypothèses.

Et tous vos résultats seront issus de cet exercice de modélisation ?

Jean Flamand : Pas exactement. Il y a aussi une partie qualitative dans l’exercice puisque les résultats de la modélisation sont discutés avec les représentants des branches d’activités au sein du Réseau emplois compétences, qui nous apportent leur expertise de terrain. Les tendances qu’ils observent au niveau de leurs secteurs d’activité permettent d’ajuster les résultats de la modélisation.

Le travail de concertation devrait être facilité puisque nous innovons pour cet exercice en mettant en place un outil de visualisation des données qui permettra aux Observatoires de branches et aux régions de consulter de manière interactive les résultats de la modélisation et de réagir.

Cécile Jolly : En plus de ce que produisent les Observatoires, on utilise aussi les données produites par les partenaires sociaux, les acteurs de l’insertion –  Pôle emploi, l’APEC, les agences de travail intérimaire… – et les études métiers des fédérations professionnelles. Nous associons par ailleurs à l’élaboration même des projections les acteurs de l’emploi et un certain nombre d’experts rassemblés dans des groupes de travail pour en discuter.

In fine, qui utilise les projections et comment ?

Cécile Jolly : Pour les régions et les branches, nos projections sont utiles à la définition des cartes de formation et du Plan d’investissement dans les compétences. Elles servent aussi à anticiper certaines mutations économiques. Un territoire très agricole peut avoir besoin par exemple de se faire une idée de l’impact du numérique sur les métiers agricoles, assortie d’un bilan en termes de formation.

Les entreprises et les partenaires sociaux s’en servent aussi pour la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences [la GPEC], sachant que les entreprises de plus de 500 salariés ont désormais obligation d’organiser des négociations tous les trois ans.

Jean Flamand : Avoir une visibilité sur les métiers de demain est aussi une demande des jeunes qui doivent s’orienter professionnellement et des personnes qui veulent se reconvertir. Et de ceux qui les accompagnent évidemment, c'est-à-dire l’ensemble des acteurs publics et privés de l’orientation, de la formation et de l’insertion, des missions locales à Pôle emploi.

Cécile Jolly : Plus largement, c’est utile au débat public. On a tous besoin d’avoir une idée un peu précise de ce qui nous attend, ne serait-ce que pour sortir de la logique binaire qui oppose une vision catastrophiste où la moitié des métiers disparaîtraient avec l’avènement des robots intelligents à une vision techno-optimiste où tous les métiers de demain seraient nouveaux !

Jean Flamand : C’est dans cette idée que nous allons mettre à disposition nos données [dont la publication est prévue fin 2019] sur un site dédié aux métiers en 2030. Tout le monde pourra y accéder et faire des requêtes personnalisées en fonction de son questionnement, de son âge, de sa profession et de son lieu de vie. Ce sera une sorte de rapport interactif. Des questions, des réponses, pour chacun.

 

 

Propos recueillis par Céline Mareuge, journaliste web

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